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LE TEMPLE DE GNIDE.

Lorsque les nymphes approchent de ses bords, il s’arrête ; et ses flots, qui fuyoient, trouvent des flots qui ne fuient plus. Mais, lorsqu’une d’elles se baigne, il est plus amoureux encore ; ses eaux tournent autour d’elle ; quelquefois il se soulève pour l’embrasser mieux ; il l’enlève, il fuit, il l’entraine. Ses compagnes timides commencent à pleurer : mais il la soutient sur ses flots ; et, charmé d’un fardeau si cher, il la promène sur sa plaine liquide ; enfin[1] désespéré de la quitter, il la porte lentement sur le rivage, et console ses compagnes.

A côté de la prairie, est un bois de myrtes dont les routes font mille détours. Les amants y viennent se conter leurs peines : l’Amour, qui les amuse, les conduit par des routes toujours plus secrètes.

Non loin de là est un bois antique et sacré, où le jour n’entre qu’à peine : des chênes, qui semblent immortels, portent au ciel une tête qui se dérobe aux yeux. On y sent une frayeur religieuse : vous diriez que c’étoit la demeure des dieux, lorsque les hommes n’étoient pas encore sortis de la terre.

Quand on a trouvé la lumière du jour, on monte une petite colline, sur laquelle est le temple de Vénus : l’univers n’a rien de plus saint ni de plus sacré que ce lieu.

Ce fut dans ce temple que Vénus vit pour la première fois Adonis : le poison coula au cœur de la déesse. Quoi ! dit-elle, j’aimerois un mortel ! Hélas ! je sens que je l’adore. Qu’on ne m’adresse plus de vœux : il n’y a plus à Gnide d’autre dieu qu’Adonis.

Ce fut dans ce lieu qu’elle appela les Amours, lorsque

  1. A. Jusqu’à ce qu’enfin désespéré, etc.