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LE TEMPLE DE GNIDE.


partout l’esprit des fleurs ; les oiseaux y chantent sans cesse ; vous diriez que les bois sont harmonieux ; les ruisseaux murmurent dans les plaines ; une chaleur douce fait tout éclore ; l’air ne s’y respire qu’avec la volupté.

Auprès de la ville, est le palais de Vénus ; Vulcain lui-même en a bâti les fondements ; il travailla pour son infidèle, quand il voulut lui faire oublier le cruel affront qu’il lui fit devant les dieux.

Il me seroit impossible de donner une idée des charmes de ce palais : il n’y a que les Grâces qui puissent décrire les choses qu’elles ont faites. L’or, l’azur, les rubis, les diamants, y brillent de toutes parts… Mais j’en peins les richesses, et non pas les beautés.

Les jardins en sont enchantés : Flore et Pomone en ont pris soin ; leurs nymphes les cultivent. Les fruits y renaissent sous la main qui les cueille ; les fleurs succèdent aux fruits. Quand Vénus s’y promène, entourée de ses Gnidiennes, vous diriez que, dans leurs jeux folâtres, elles vont détruire ces jardins délicieux : mais, par une vertu secrète, tout se répare en un instant.

Vénus aime à voir les danses naïves des filles de Gnide. Ses nymphes se confondent avec elles. La déesse prend part à leurs jeux ; elle se dépouille de sa majesté ; assise au milieu d’elles, elle voit régner dans leurs cœurs la joie et l’innocence.

On découvre de loin une grande prairie, toute parée de l’émail des fleurs. Le berger vient les cueillir avec sa bergère ; mais celle qu’elle a trouvée est toujours la plus belle, et il croit que Flore l’a faite exprès.

Le fleuve Céphée arrose cette prairie, et y fait mille détours. Il arrête les bergères fugitives : il faut qu’elles donnent le tendre baiser qu’elles avoient promis.