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DES ROMAINS, CHAP. XXI.


habitaient avec lui, il arriva que plusieurs empereurs perdirent l’affection de leurs sujets, et les peuples s’accoutumèrent à penser que des princes si souvent rebelles à Dieu n’avaient pu être choisis par la Providence pour les gouverner.

Une certaine opinion prise de cette idée qu’il ne fallait pas répandre le sang des chrétiens, laquelle s’établit de plus en plus lorsque les Mahométans eurent paru, fit que les crimes qui n’intéressaient pas directement la Religion furent faiblement punis : on se contenta de crever les yeux, ou de couper le nez ou les cheveux, ou de mutiler de quelque manière ceux qui avaient excité quelque révolte ou attenté à la personne du prince[1]. Des actions pareilles purent se commettre sans danger et même sans courage.

Un certain respect pour les ornements impériaux fit que l’on jeta d’abord les yeux sur ceux qui osèrent s’en revêtir. C’était un crime de porter ou d’avoir chez soi des étoffes de pourpre. Mais, dès qu’un homme s’en vêtissait, il était d’abord suivi, parce que le respect était plus attaché à l’habit qu’à la personne.

L’ambition était encore irritée par l’étrange manie de ces temps-là, n’y ayant guère d’homme considérable qui n’eût par-devers lui quelque prédiction qui lui promettait l’empire.

Comme les maladies de l’esprit ne se guérissent guère[2], l’astrologie judiciaire et l’art de prédire par des objets vus dans l’eau d’un bassin avaient succédé, chez les chrétiens, aux divinations par les entrailles des vic-

  1. Zénon contribua beaucoup à établir ce relâchement. Voyez Malchus, Histoire byzantine, dans l’Extrait des ambassades. (M.)
  2. Voyez Nicétas, Vie d’Andronic Commène. (M.)