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DES ROMAINS, CHAP. XX.


ceci par l’Histoire secrète, et qu’on ne dise que ce prince vendait également ses jugements et ses lois.

Mais ce qui fit le plus de tort à l’état politique du gouvernement fut le projet qu’il conçut de réduire tous les hommes à une même opinion sur les matières de religion, dans des circonstances qui rendaient son zèle entièrement indiscret[1].

Comme les anciens Romains fortifièrent leur empire en y laissant toute sorte de culte, dans la suite on le réduisit à rien en coupant, l’une après l’autre, les sectes qui ne dominaient pas.

Ces sectes étaient des nations entières. Les unes, après qu’elles avaient été conquises par les Romains, avaient conservé leur ancienne religion, comme les Samaritains et les Juifs. Les autres s’étaient répandues dans un pays, comme les sectateurs de Montan dans la Phrygie ; les Manichéens, les Sabatiens, les Ariens, dans d’autres provinces. Outre qu’une grande partie des gens de la campagne étaient encore idolâtres et entêtés d’une religion grossière comme eux-mêmes.

Justinien, qui détruisit ces sectes par l’épée ou par ses lois, et qui, les obligeant à se révolter, s’obligea à les exterminer, rendit incultes plusieurs provinces : il crut avoir augmenté le nombre des fidèles ; il n’avait fait que diminuer celui des hommes.

Procope nous apprend que, par la destruction des Samaritains, la Palestine devint déserte, et ce qui rend ce fait singulier, c’est qu’on affaiblit l’Empire, par zèle pour la Religion, du côté par où, quelques règnes après, les Arabes pénétrèrent pour la détruire.

  1. Conf. Lettres Persanes, LX et LXXXV.