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DES ROMAINS, CHAP. XX.


dépendent[1] du tout ensemble. La lenteur de l’entreprise fait qu’on trouve toujours des ennemis préparés. Outre qu’il est rare que l’expédition se fasse jamais dans une saison commode, on tombe dans le temps des orages, tant de choses n’étant presque jamais prêtes que quelques mois plus tard qu’on ne se l’était promis [2].

Bélisaire envahit l’Afrique, et ce qui lui servit beaucoup, c’est qu’il tira de Sicile une grande quantité de provisions[3], en conséquence d’un traité fait avec Amalasonte, reine des Goths. Lorsqu’il fut envoyé pour attaquer l’Italie, voyant que les Goths tiraient leur subsistance de la Sicile, il commença par la conquérir ; il affama ses ennemis et se trouva dans l’abondance de toutes choses.

Bélisaire prit Carthage, Rome et Ravenne, et envoya les rois des Goths et des Vandales captifs à Constantinople, où l’on vit après tant de temps les anciens triomphes renouvelés[4].

On peut trouver dans les qualités de ce grand homme[5] les principales causes de ses succès. Avec un général qui avait toutes les maximes des premiers Romains, il se forma une armée telle que les anciennes armées romaines.

Les grandes vertus se cachent ou se perdent ordinairement dans la servitude ; mais le gouvernement tyrannique de Justinien ne put opprimer la grandeur de cette âme, ni la supériorité de ce génie.

  1. A. Enfin chaque partie dépend du tout ensemble.
  2. C’est une allusion à l’armada de Philippe II, et peut-être aux différentes entreprises faites par les rois d’Espagne et les Rois de France contre Alger et Tunis.
  3. A. Beaucoup de provisions.
  4. Justinien ne lui accorda que le triomphe de l’Afrique. (M.)
  5. Voyez Suidas, à l’article Bélisaire. (M.)