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GRANDEUR ET DÉCADENCE


taient contre une seule avec les avantages de toutes les autres.

Il est singulier que les nations les plus faibles aient été celles qui firent de plus grands établissements. On se tromperait beaucoup si l’on jugeait de leurs forces par leurs conquêtes. Dans cette longue suite d’incursions, les peuples barbares ou plutôt les essaims sortis d’eux détruisaient ou étaient détruits ; tout dépendait des circonstances, et, pendant qu’une grande nation était combattue ou arrêtée, une troupe d’aventuriers qui trouvaient un pays ouvert y faisaient des ravages effroyables. Les Goths, que le désavantage de leurs armes fit fuir devant tant de nations, s’établirent en Italie, en Gaule et en Espagne. Les Vandales, quittant l’Espagne par faiblesse, passèrent en Afrique, où ils fondèrent un grand empire[1].

Justinien ne put équiper contre les Vandales que cinquante vaisseaux ; et, quand Bélisaire débarqua, il n’avait que cinq mille soldats[2]. C’était une entreprise bien hardie, et Léon, qui avait autrefois envoyé contre eux une flotte composée de tous les vaisseaux de l’Orient, sur laquelle il avait cent mille hommes, n’avait pas conquis l’Afrique et avait pensé perdre l’Empire.

Ces grandes flottes, non plus que les grandes armées de terre, n’ont guère jamais réussi. Comme elles épuisent un État si l’expédition est longue, ou que quelque malheur leur arrive, elles ne peuvent être secourues ni réparées ; si une partie se perd, ce qui reste n’est rien, parce que les vaisseaux de guerre, ceux de transport, la cavalerie, l’infanterie, les munitions, enfin, les diverses parties

  1. Ce paragraphe n'est point dans A.
  2. Procope, Guerre des Goths, liv. II. (M.)