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DES ROMAINS, CHAP. XIX.

On voyait, à sa cour, les ambassadeurs des Romains d’Orient et de ceux d’Occident, qui venaient recevoir ses lois ou implorer sa clémence. Tantôt il demandait qu’on lui rendît les Huns transfuges ou les esclaves romains qui s’étaient évadés ; tantôt il voulait qu’on lui livrât quelque ministre de l’Empereur. Il avait mis sur l’empire d’Orient un tribut de deux mille cent livres d’or ; il recevait les appointements de général des armées romaines ; il envoyait à Constantinople ceux qu’il voulait récompenser, afin qu’on les comblât de biens, faisant un trafic continuel de la frayeur des Romains.

Il était craint de ses sujets, et il ne paraît pas qu’il en fût haï[1]. Prodigieusement fier et, cependant, rusé ; ardent dans sa colère, mais sachant pardonner ou différer la punition suivant qu’il convenait à ses intérêts ; ne faisant jamais la guerre quand la paix pouvait lui donner assez d’avantages ; fidèlement servi des rois mêmes qui étaient sous sa dépendance : il avait gardé pour lui seul l’ancienne simplicité des mœurs des Huns. Du reste, on ne peut guère louer sur la bravoure le chef d’une nation où les enfants entraient en fureur au récit des beaux faits d’armes de leurs pères, et où les pères versaient des larmes parce qu’ils ne pouvaient pas imiter leurs enfants.

Après sa mort, toutes les nations barbares se redivisèrent. Mais les Romains étaient si faibles qu’il n’y avait pas de si petit peuple qui ne pût leur nuire.

Ce ne fut pas une certaine invasion qui perdit l’Empire, ce furent toutes les invasions. Depuis celle qui fut si générale sous Gallus, il sembla rétabli, parce qu’il n’avait

  1. Il faut consulter, sur le caractère de ce prince et les mœurs de sa cour, Jornandès et Priscus. (M.)