Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
GRANDEUR DES ROMAINS, CHAP. XIX.

Ce fut le préfet Symmaque qui, dans une lettre écrite aux Empereurs au sujet de l’autel de la Victoire, fit le plus valoir contre la religion chrétienne des raisons populaires et, par conséquent, très capables de séduire.

« Quelle chose peut mieux nous conduire à la connaissance des dieux, disait-il, que l’expérience de nos prospérités passées ? Nous devons être fidèles à tant de siècles et suivre nos pères, qui ont suivi si heureusement les leurs. Pensez que Rome vous parle et vous dit : Grands princes, Pères de la Patrie, respectez mes années pendant lesquelles j’ai toujours observé les cérémonies de mes ancêtres : ce culte a soumis l’univers à mes lois ; c’est par là qu’Annibal a été repoussé de mes murailles, et que les Gaulois l’ont été du Capitole. C’est pour les dieux de la Patrie que nous demandons la paix ; nous la demandons pour les dieux indigètes. Nous n’entrons point dans des disputes qui ne conviennent qu’à des gens oisifs, et nous voulons offrir des prières, et non pas des combats[1]. »

Trois auteurs célèbres répondirent à Symmaque. Orose composa son histoire pour prouver qu’il y avait toujours eu dans le monde d’aussi grands malheurs que ceux dont se plaignaient les païens ; Salvien fit son livre, où il soutint que c’étaient les dérèglements des chrétiens qui avaient attiré les ravages des Barbares[2] ; et saint Augustin fit voir que la cité du ciel était différente de cette cité de la terre[3] où les anciens Romains, pour quelques vertus humaines, avaient reçu des récompenses aussi vaines que ces vertus.

Nous avons dit que, dans les premiers temps, la poli-

  1. Lettres de Symmaque, liv. X. lettre 54. (M.)
  2. Du Gouvernement de Dieu. (M.)
  3. De la Cité de Dieu. (M.)