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GRANDEUR ET DÉCADENCE


y avait vu des généraux condamner à mourir leurs enfants pour avoir, sans leur ordre, gagné la victoire. Mais, quand ils furent mêlés parmi les Barbares, ils y contractèrent un esprit d’indépendance qui faisait le caractère de ces nations, et, si l’on lit les guerres de Bélisaire contre les Goths, on verra un général presque toujours désobéi par ses officiers.

Sylla et Sertorius, dans la fureur des guerres civiles, aimaient mieux périr que de faire quelque chose dont Mithridate pût tirer avantage. Mais, dans les temps qui suivirent, dès qu’un ministre ou quelque grand crut qu’il importait à son avarice, à sa vengeance, à son ambition, de faire entrer les Barbares dans l’Empire, il le leur donna d’abord à ravager[1].

Il n’y a point d’État où l’on ait plus besoin de tributs que dans ceux qui s’affaiblissent ; de sorte que l’on est obligé d’augmenter les charges à mesure que l’on est moins en état de les porter. Bientôt, dans les provinces romaines, les tributs devinrent intolérables.

Il faut lire dans Salvien les horribles exactions que l’on faisait sur les peuples[2]. Les citoyens, poursuivis par les traitants, n’avaient d’autre ressource que de se réfugier chez les Barbares ou de donner leur liberté au premier qui la voulait prendre.

Ceci servira à expliquer dans notre histoire française

  1. Cela n’était pas étonnant dans ce mélange avec des nations qui avaient été errantes, qui ne connaissaient point de patrie, et où souvent des corps entiers de troupes se joignaient à l’ennemi qui les avait vaincus contre leur nation même. Voyez, dans Procope ce que c’était que les Goths sous Vitigès. (M.)
  2. Voyez tout le livre V De Gubernatione Dei. Voyez aussi dans l’ambassade écrite par Priscus le discours d’un Romain établi parmi les Huns, sur sa félicité dans ce pays-là. (M.)