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GRANDEUR ET DÉCADENCE

Enfin, les Romains perdirent leur discipline militaire ; ils abandonnèrent jusqu’à leurs propres armes. Végèce dit que, les soldats les trouvant trop pesantes, ils obtinrent de l’empereur Gratien de quitter leur cuirasse et ensuite leur casque ; de façon qu’exposés aux coups sans défense ils ne songèrent plus qu’à fuir[1].

Il ajoute qu’ils avaient perdu la coutume de fortifier leur camp, et que, par cette négligence, leurs armées furent enlevées par la cavalerie des Barbares.

La cavalerie fut peu nombreuse chez les premiers Romains : elle ne faisait que la onzième partie de la légion, et très souvent moins ; et, ce qu’il y a d’extraordinaire, ils en avaient beaucoup moins que nous, qui avons tant de sièges à faire, où la cavalerie est peu utile. Quand les Romains furent dans la décadence, ils n’eurent presque plus que de la cavalerie. Il me semble que, plus une nation se rend savante dans l’art militaire, plus elle agit par son infanterie, et que, moins elle le connaît, plus elle multiplie sa cavalerie. C’est que, sans la discipline, l’infanterie, pesante ou légère, n’est rien ; au lieu que la cavalerie va toujours, dans son désordre même[2]. L’action de celle-ci consiste plus dans son impétuosité et un certain choc ; celle de l’autre, dans sa résistance et une certaine immobilité : c’est plutôt une réaction qu’une action. Enfin, la force de la cavalerie est momentanée ; l’infanterie agit plus longtemps ; mais il faut

  1. De re militari, liv. I, chap. XX. (M.)
  2. La cavalerie tartare, sans observer aucune de nos maximes militaires, a fait, dans tous les temps de grandes choses. Voyez les Relations, et surtout celle de la dernière conquête de la Chine. (M.)