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DES ROMAINS, CHAP. XVIII.


contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur.

Ce n’est pas la Fortune qui domine le monde[1]. On peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes, et, si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers[2].

Nous voyons que, depuis près de deux siècles, les troupes de terre de Danemark ont presque toujours été battues par celles de Suède. Il faut qu’indépendamment du courage des deux nations et du sort des armes il y ait dans le gouvernement danois, militaire ou civil, un vice intérieur qui ait produit cet effet, et je ne le crois point difficile à découvrir[3].

  1. Bossuet, Discours sur l’histoire naturelle universelle, IIIe partie, chap. II.
    « Encore qu’a ne regarder que les connaissances particulières, la fortune semble seule décider de l’établissement et de la ruine des empires ; à tout prendre, il en arrive comme dans le jeu, où le plus habile l’emporte à la longue. »
    « En effet, dans ce jeu sanglant où les peuples ont disputé de l’empire et de la puissance, qui a prévu de plus loin, qui s’est le plus appliqué, qui a duré le plus longtemps dans les grands travaux, et enfin qui a su le mieux ou pousser ou se ménager suivant la rencontr, à la fin a eu l’avantage ; et a fait servir la fortune même à ses desseins. » — Comp. Machiavel, le Prince, chap. XXV.
  2. Esprit des lois, X, 13.
  3. Ce vice intérieur, c’était l’anarchie ; la royauté était élective, réduite au commandement des armées, sans cesse tenue en échec par un sénat oligarchique. L’anarchie eut son effet ordinaire ; elle mena au gouvernement absolu. V. sup., chap. XV.