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GRANDEUR ET DÉCADENCE


soldats romains, ni le même esprit, ni les mêmes prétentions.

Il y avait une autre commodité à cela : comme les Barbares tombaient tout à coup sur un pays, n’y ayant point chez eux de préparatifs après la résolution de partir, il était difficile de faire des levées à temps dans les provinces. On prenait donc un autre corps de Barbares, toujours prêt à recevoir de l’argent, à piller et à se battre. On était servi pour le moment ; mais, dans la suite, on avait autant de peine à réduire les auxiliaires que les ennemis.

Les premiers Romains[1] ne mettaient point dans leurs armées un plus grand nombre de troupes auxiliaires que de romaines, et, quoique leurs alliés fussent proprement des sujets, ils ne voulaient point avoir pour sujets des peuples plus belliqueux qu’eux-mêmes.

Mais, dans les derniers temps, non seulement ils n’observèrent pas cette proportion des troupes auxiliaires, mais même ils remplirent de soldats barbares les corps de troupes nationales.

Ainsi ils établissaient des usages tout contraires à ceux qui les avaient rendus maîtres de tout, et, comme autrefois leur politique constante fut de se réserver l’art militaire et d’en priver tous leurs voisins, ils le détruisaient pour lors chez eux et l’établissaient chez les autres.

Voici en un mot l’histoire des Romains : ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes ; mais, lorsqu’ils y furent parvenus, leur République ne put subsister, il fallut changer de gouvernement, et des maximes

  1. C’est une observation de Végèce ; et il paraît par Tite-Live que, si le nombre des auxiliaires excéda quelquefois, ce fut de bien peu. (M.)