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GRANDEUR ET DÉCADENCE


temps établie, et que les choses se sont mises dans une certaine situation, il est presque toujours de la prudence de les y laisser, parce que les raisons, souvent compliquées et inconnues, qui font qu’un pareil état a subsisté font qu’il se maintiendra encore. Mais, quand on change le système total, on ne peut remédier qu’aux inconvénients qui se présentent dans la théorie, et on en laisse d’autres que la pratique seule peut faire découvrir.

Ainsi, quoique l’Empire ne fût déjà que trop grand, la division qu’on en fit le ruina, parce que toutes les parties de ce grand corps, depuis longtemps ensemble, s’étaient, pour ainsi dire, ajustées pour y rester et dépendre les unes des autres.

Constantin[1], après avoir affaibli la capitale, frappa un autre coup sur les frontières : il ôta les légions qui étaient sur le bord des grands fleuves, et les dispersa dans les provinces ; ce qui produisit deux maux : l’un, que la barrière qui contenait tant de nations fut ôtée ; et l’autre, que les soldats[2] vécurent et s’amollirent dans le cirque et dans les théâtres[3].

  1. Dans ce qu’on dit de Constantin on ne choque point les auteurs ecclésiastiques, qui déclarent qu’ils n’entendent parler que des actions de ce prince qui ont du rapport à la piété, et non de celles qui en ont au gouvernement de l’état. Eusèbe, Vie de Constantin, liv. I, ch. XIX ; Socrate, liv. I, ch. I. (M.)
  2. Zosime, liv. VIII, (M.)
  3. Depuis l’établissement du christianisme, les combats des gladiateurs devinrent rares. Constantin défendit d’en donner : ils furent entièrement abolis sous Honorius a, comme il paraît par Théodoret et Othon de Frisingue. Les Romains ne retinrent de leurs anciens spectacles que ce qui pouvait affaiblir les courages, et servait d’attrait à la volupté.b

    a A. Cette barbare coutume ne fut entièrement aboli que sous Honorius.
    b A. ajoute : Dans les temps précédents, avant que les soldats partissent pour l’armée, on leur donnait un combat de gladiateurs pour les accoutumer à voir le sang, le fer et les blessures, et à ne pas craindre l’ennemi. (Jules Capitolin, Vie de Maxime et de Balbin.) (Édit. de 1734.) — Voyez ci-devant le chap. II. (M.)