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GRANDEUR ET DÉCADENCE


demanda d’être préfet du prétoire, et on rejeta ses prières ; enfin, il parla pour sa vie. L’armée, dans ses divers jugements, exerçait la magistrature suprême.

Les Barbares, au commencement inconnus aux Romains, ensuite seulement incommodes, leur étaient devenus redoutables[1]. Par l’événement du monde le plus extraordinaire, Rome avait si bien anéanti tous les peuples que, lorsqu’elle fut vaincue elle-même, il sembla que la terre en eût enfanté de nouveaux pour la détruire.

Les princes des grands États ont ordinairement peu de pays voisins qui puissent être l’objet de leur ambition. S’il y en avait eu de tels, ils auraient été enveloppés dans le cours de la conquête. Ils sont donc bornés par des mers, des montagnes et de vastes déserts, que leur pauvreté fait mépriser. Aussi les Romains laissèrent-ils les Germains dans leurs forêts et les peuples du Nord dans leurs glaces, et il s’y conserva ou même il s’y forma des nations qui enfin les asservirent eux-mêmes.

Sous le règne de Gallus, un grand nombre de nations, qui se rendirent ensuite plus célèbres, ravagèrent l’Europe, et les Perses, ayant envahi la Syrie, ne quittèrent leurs conquêtes que pour conserver leur butin.

Ces essaims de Barbares qui sortirent autrefois du Nord ne paraissent plus aujourd’hui. Les violences des Romains avaient fait retirer les peuples du Midi au Nord. Tandis que la force qui les contenait subsista, ils y restèrent ; quand elle fut affaiblie, ils se répandirent de toutes parts[2]. La même chose arriva quelques siècles

  1. A. Leur était devenus redoutables par un événement qui n’avoit jamais eu, et qui peut-être n’aura jamais de pareil. Rome, etc.
  2. On voit à quoi se réduisit la fameuse question : Pourquoi le nord n’est-il plus si peuplé qu’autrefois ? (M.) Conf. Lettres persanes, CXII et suivantes.