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GRANDEUR ET DÉCADENCE


rougirent d’accepter la solde même et voulurent servir à leurs dépens.

Les trésors de Persée et ceux de tant d’autres rois, que l’on porta continuellement à Rome, y firent cesser les tributs[1]. Dans l’opulence publique et particulière, on eut la sagesse de ne point augmenter la paye de cinq onces de cuivre.

Quoique, sur cette paye, on fit une déduction pour le blé, les habits et les armes, elle fut suffisante, parce qu’on n’enrôlait que les citoyens qui avaient un patrimoine.

Marius ayant enrôlé des gens qui n’avaient rien, et son exemple ayant été suivi, César fut obligé d’augmenter la paye.

Cette augmentation ayant été continuée après la mort de César, on fut contraint, sous le consulat de Hirtius et de Pansa, de rétablir les tributs.

La faiblesse de Domitien lui ayant fait augmenter cette paye d’un quart, il fit une grande plaie à l’État, dont le malheur n’est pas que le luxe y règne, mais qu’il règne dans des conditions qui, par la nature des choses, ne doivent avoir que le nécessaire physique. Enfin, Caracalla ayant fait une nouvelle augmentation, l’Empire fut mis dans cet état que, ne pouvant subsister sans les soldats, il ne pouvait subsister avec eux.

Caracalla, pour diminuer l’horreur du meurtre de son frère, le mit au rang des dieux, et ce qu’il y a de singulier, c’est que cela lui fut exactement rendu par Macrin, qui, après l’avoir fait poignarder, voulant apaiser les soldats prétoriens, désespérés de la mort de ce prince qui leur

  1. Cicéron, Des Offices, liv. II. (M.)