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GRANDEUR ET DÉCADENCE


senté aux soldats, comment, dans une armée romaine, les enfants de l’Empereur et les envoyés du Sénat romain couraient risque de la vie[1], ils purent se repentir et aller jusqu’à se punir eux-mêmes[2]. Mais, quand le sénat fut entièrement abattu, son exemple ne toucha personne. En vain Othon harangue-t-il ses soldats pour leur parler de la dignité du Sénat[3] ; en vain Vitellius envoie-t-il les principaux sénateurs pour faire sa paix avec Vespasien[4] : on ne rend point dans un moment aux ordres de l’État le respect qui leur a été ôté si longtemps. Les armées ne regardèrent ces députés que comme les plus lâches esclaves d’un maître qu’elles avaient déjà réprouvé.

C’était une ancienne coutume des Romains que celui qui triomphait distribuait quelques deniers à chaque soldat : c’était peu de chose[5]. Dans les guerres civiles, on augmenta ces dons[6]. On les faisait autrefois de l’argent pris sur les ennemis ; dans ces temps malheureux, on donna celui des citoyens, et les soldats voulaient un partage là où il n’y avait pas de butin. Ces distributions n’avaient lieu qu’après une guerre ; Néron les fit pendant la paix ; les soldats s’y accoutumèrent, et ils frémirent

  1. Voyez la harangue de Germanicus. Tacite, Annal., liv. I, ch. XLII. (M.)
  2. Gaudebat cædibus miles, quasi semet absolveret.Tacite, Annal., liv. I, ch. XLVI. On révoqua dans la suite les privilèges extorqués. Tacite, ibid. (M.)
  3. Tacite, Hist., liv. I, ch. LXXXIII et LXXXIV. (M.)
  4. Tacite, Hist., liv. III, ch. LXXX. (M.)
  5. Voyez, dans Tite-Live, les sommes distribuées dans divers triomphes. L’esprit des capitaines était de porter beaucoup d’argent dans le trésor public, et d’en donner peu aux soldats. (M.)
  6. Paul-Émile, dans un temps où la grandeur des conquêtes avait fait augmenter les libéralités, ne distribua que cent deniers à chaque soldat ; mais César en donna deux mille (1,552 francs), et son exemple fut suivi par Antoine et Octave, par Brutus et Cassius. Voyez Dion et Appien. (M.)