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GRANDEUR ET DÉCADENCE


une forme de gouvernement. Dans le temps qu’il délibérait, quelques soldats entrèrent dans le palais pour piller ; ils trouvèrent, dans un lieu obscur, un homme tremblant de peur ; c’était Claude : ils le saluèrent empereur.

Claude acheva de perdre les anciens ordres en donnant à ses officiers le droit de rendre la justice[1]. Les guerres de Marius et de Sylla ne se faisaient principalement que pour savoir qui aurait ce droit, des sénateurs ou des chevaliers[2]. Une fantaisie d’un imbécile l’ôta aux uns et aux autres : étrange succès d’une dispute qui avait mis en combustion tout l’univers !

Il n’y a point d’autorité plus absolue que celle du prince qui succède à la république : car il se trouve avoir toute la puissance du peuple, qui n’avait pu se limiter lui-même. Aussi voyons-nous aujourd’hui les rois de Danemark exercer le pouvoir le plus arbitraire qu’il y ait en Europe[3].

Le peuple ne fut pas moins avili que le Sénat et les chevaliers[4]. Nous avons vu que, jusqu’au temps des Empereurs, il avait été si belliqueux que les armées qu’on levait dans la ville se disciplinaient sur-le-champ et allaient droit à l’ennemi. Dans les guerres civiles de Vitellius et de Vespasien, Rome, en proie à tous les ambitieux,

  1. Auguste avait établi les procurateurs, mais ils n’avaient point de juridiction ; et quand on ne leur obéissait pas, il fallait qu’ils recourussent à l’autorité du gouverneur de la province ou du préteur. Mais, sous Claude, ils eurent la juridiction ordinaire, comme lieutenant de la province ; ils jugèrent encore des affaires fiscales : ce qui mit les fortunes de tout le monde entre leurs mains. (M.)
  2. Voyez Tacite, Annal., XII, LX. (M.)
  3. Esprit des lois, XVII, 3. Inf. ch. XVIII. En 1663, les trois ordres : clergé, noblesse, bourgeoisie, investirent le roi Frédéric II d'un pouvoir absolu. Mais ce pouvoir était moins arbitraire que ne le croit Montesquieu.
  4. A. n'a point les mots : et les chevaliers.