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DES ROMAINS, CHAP. XV.

Caligula étoit un vrai sophiste dans sa cruauté. Comme il descendait également d’Antoine et d’Auguste, il disait qu’il punirait les consuls s’ils célébraient le jour de réjouissance établi en mémoire de la victoire d’Actium, et qu’il les punirait s’ils ne le célébraient pas ; et Drusille, à qui il accorda des honneurs divins, étant morte, c’était un crime de la pleurer, parce qu’elle était déesse, et de ne la pas pleurer, parce qu’elle était sa sœur.

C’est ici qu’il faut se donner le spectacle des choses humaines. Qu’on voie dans l’histoire de Rome tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de peuples détruits, tant de grandes actions, tant de triomphes, tant de politique, de sagesse, de prudence, de constance, de courage ! Ce projet d’envahir tout, si bien formé, si bien soutenu, si bien fini, à quoi aboutit-il, qu’à assouvir le bonheur de cinq ou six monstres ? Quoi ! ce Sénat n’avait fait évanouir tant de rois que pour tomber lui-même dans le plus bas esclavage de quelques-uns de ses plus indignes citoyens et s’exterminer par ses propres arrêts ! On n’élève donc sa puissance que pour la voir mieux renversée ! Les hommes ne travaillent à augmenter leur pouvoir que pour le voir tomber, contre eux-mêmes, dans de plus heureuses mains !

Caligula ayant été tué, le Sénat s’assembla pour établir

    l’art militaire de ces temps-là. — Et une note ajoute : Quoique les gladiateurs eussent la plus infâme origine et la plus infâme profession qu’il y ait jamais eu, car c’étoient des esclaves ou des criminels qu’on obligeoit de se dévorer et de combattre jusqu’à la mort aux funérailles des grands, cependant la passion pour les exercices, qui avoient tant de rapport à ceux de la guerre, devint telle qu’on ne sauroit la regarder que comme une fureur : les empereurs, les sénateurs, les grands, les femmes mêmes parurent sur l’arène : nec virum modo pugnas sed et feminarum. Suèt. in Domit., ch. IV. Les Romains n’avoient pas moins de goût pour les athlètes. (M.)