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GRANDEUR ET DÉCADENCE


obsèques de César, et effectivement, dès qu’il ne l’avait pas déclaré tyran, il ne pouvait lui refuser la sépulture. Or c’était une coutume des Romains, si vantée par Polybe, de porter dans les funérailles les images des ancêtres et de faire ensuite l’oraison funèbre du défunt. Antoine, qui la fit, montra au peuple la robe ensanglantée de César, lui lut son testament, où il lui faisait de grandes largesses, et l’agita au point qu’il mit le feu aux maisons des conjurés.

Nous avons un aveu de Cicéron[1], qui gouverna le Sénat dans toute cette affaire, qu’il aurait mieux valu agir avec vigueur et s’exposer à périr, et que même on n’aurait point péri. Mais il se disculpe sur ce que, quand le Sénat fut assemblé, il n’était plus temps, et ceux qui savent le prix d’un moment dans des affaires où le peuple a tant de part n’en seront pas étonnés.

Voici un autre accident : pendant qu’on faisait des jeux en l’honneur de César, une comète à longue chevelure parut pendant sept jours ; le peuple crut que son âme avait été reçue dans le Ciel[2].

C’était bien une coutume des peuples de Grèce et d’Asie de bâtir des temples aux rois et même aux proconsuls qui les avaient gouvernés[3] : on leur laissait faire

  1. Lettres à Atticus, liv. XIV, lettre X. (M.)
  2. Suet. in Julio, ch. LXXXVIII.
  3. Voyez là-dessus les Lettres de Cicéron à Atticus, liv. V, et la remarque de M. l’abbé de Mongault a (M.)

    a Les Grecs, les Asiatiques et les Syriens dit l’abbé Mongault, avoient poussés la flatterie jusqu’à consacrer des temples et élever des autels à leurs bienfaiteurs. Les lois romaines laissoient même la liberté aux proconsuls de recevoir des honneurs pareils, et Suétone fait un mérite à Auguste de ce qu’à tous les temples qu’on leur consacroit dans les provinces, il faisoit joindre le nom de Rome avec le sien. Dion dit que ce furent les villes d’Asie qui rendirent les premières des honneurs divins aux empereurs avant leur mort ; mais, comme l’a remarqué Suétone, cet usage étoit établi dès le temps de la république.