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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


quieu : « Nous croyons que les peintures de cet ouvrage soutiendraient avec succès une des principales épreuves des descriptions poétiques, celle de les représenter sur la toile. » En ce point, il n’a pas tort. Les gravures d’Eisen, comme celles de Monnet, qui accompagnent l’imitation de Colardeau, sont, bien plus que les vers, la traduction du poème. Ces nymphes demi-nues, aux cheveux retroussés et couronnés de roses, aux regards provocants, au sourire hardi, c’est Camille, c’est Thémire. Ce ne sont pas des bergères, n’en croyez point le poète, ce sont des princesses qui n’ont jamais aimé les champs que sous des lambris dorés. C’est comme un jeu d’esprit qu’il faut accepter le Temple de Guide ; c’est ainsi seulement qu’on peut le lire avec plaisir et curiosité.

Le Temple de Gnide, publié sans nom d’auteur, parut, nous l’avons dit, à Paris, avec privilège du roi, daté du 29 janvier 1725. Une seconde édition en fut donnée l’année suivante à la Haye. En 1738, un académicien, fort ignoré aujourd’hui. Paradis de Moncrif, eut l’idée singulière d’accoler un de ses romans au Temple de Gnide, Montesquieu y consentit, autant qu’on en peut juger par la lettre suivante :

    « A M. de Moncrif, de l’Académie françoise.

« J’oubliai d’avoir l’honnenr de vous dire, monsieur, que si le Sieur Prault, dans l’édition de ce petit roman[1], alloit mettre quelque chose qui, directement ou indirectement, pût faire penser que j’en suis l’auteur, il me désobligeroit beaucoup. Je suis, à l’égard des ouvrages qu’on m’a attribués, comme la Fontaine Martel[2] étoit pour les ridicules ; on me les donne, mais je ne les prends point. Mille excuses, monsieur, et faites-moi l’honneur de me croire, monsieur, plus que je ne saurais vous dire, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

    « Ce 26 avril 1788. »

Le livre parut sous la rubrique de Londres, 1738, et avec le signe de la sphère. Il est accompagné des Ames rivales, histoire fabuleuse ; misérable imitation d’un conte oriental, faite sans grâce et sans finesse. Moncrif a prouvé une fois de plus par cet

  1. C’est en général sous ce titre que Montesquieu désigne le Temple de Gnide.
  2. Une des amie de Voltaire. Elle mourut entre ses bras le 28 Janvier 1783.