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DES ROMAINS, CHAP. XI.

De plus, il se servit de la plus vile populace pour troubler les magistrats dans leurs fonctions, espérant que les gens sages, lassés de vivre dans l’anarchie, le créeraient dictateur par désespoir.

Enfin, il s’unit d’intérêts avec César et Crassus. Caton disait que ce n’était pas leur inimitié qui avait perdu la République, mais leur union. En effet, Rome était en ce malheureux état[1] qu’elle était moins accablée par les guerres civiles que par la paix, qui, réunissant les vues et les intérêts des principaux, ne faisait plus qu’une tyrannie.

Pompée ne prêta pas proprement son crédit à César, mais, sans le savoir, il le lui sacrifia[2]. Bientôt César employa contre lui les forces qu’il lui avait données, et ses artifices même ; il troubla la ville par ses émissaires et se rendit maître des élections : consuls, prêteurs, tribuns, furent achetés au prix qu’ils mirent eux-mêmes[3].

Le Sénat, qui vit clairement les desseins de César, eut recours à Pompée : il le pria de prendre la défense de la République, si l’on pouvait appeler de ce nom un gouvernement qui demandait la protection d’un de ses citoyens.

Je crois que ce qui perdit surtout Pompée fut la honte qu’il eut de penser qu’en élevant César, comme il avait fait, il eût manqué de prévoyance. Il s’accoutuma le plus tard qu’il put à cette idée ; il ne se mettait point en défense, pour ne point avouer qu’il se fût mis en danger ; il soutenait, au Sénat, que César n’oserait faire la guerre, et, parce qu’il l’avait dit tant de fois, il le redisait toujours[4].

  1. En effet, elle étoit en ce malheureux état, etc.
  2. Lettres de Cicéron à Atticus, VIII, III
  3. Ibid, VII, III.
  4. Voilà une expression naturelle et véritable de moeurs. Combien de