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GRANDEUR ET DÉCADENCE


des temps de trouble, pouvait fixer l’administration du peuple sur un seul citoyen.

Quand on accorde des honneurs, on sait précisément ce que l’on donne ; mais, quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il pourra être porté.

Des préférences excessives données à un citoyen dans une république ont toujours des effets nécessaires :elles font naître l’envie du peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour.

Deux fois Pompée, retournant à Rome, maître d’opprimer la République, eut la modération de congédier ses armées avant que d’y entrer, et d’y paraître en simple citoyen. Ces actions, qui le comblèrent de gloire, firent que, dans la suite, quelque chose qu’il eût faite au préjudice des lois, le Sénat se déclara toujours pour lui.

Pompée avait une ambition plus lente et plus douce que celle de César : celui-ci voulait aller à la souveraine puissance les armes à la main, comme Sylla. Cette façon d’opprimer ne plaisait point à Pompée : il aspirait à la dictature, mais par les suffrages du peuple ; il ne pouvait consentir à usurper la puissance, mais il aurait voulu qu’on la lui remît entre les mains[1].

Comme la faveur du peuple n’est jamais constante, il y eut des temps où Pompée vit diminuer son crédit[2] ; et, ce qui le toucha bien sensiblement, des gens qu’il méprisait augmentèrent le leur et s’en servirent contre lui.

Cela lui fit faire trois choses également funestes : il corrompit le peuple à force d’argent et mit dans les élections un prix aux suffrages de chaque citoyen.

  1. Lettre de Cicéron à Quintius, III, VIII
  2. Voyez Plutarque, Vie de Pompée, ch. XLVI et XLVII. (M.)