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DES ROMAINS, CHAP. X.


fut prêt à tous les attentats ; et, comme dit Salluste[1], on vit une génération de gens qui ne pouvaient avoir de patrimoine, ni souffrir que d’autres en eussent.

Cependant, quelle que fût la corruption de Rome, tous les malheurs ne s’y étaient pas introduits : car la force de son institution avait été telle qu’elle avait conservé une valeur héroïque et toute son application à la guerre au milieu des richesses, de la mollesse et de la volupté ; ce qui n’est, je crois, arrivé à aucune nation du monde.

Les citoyens romains[2] regardaient le commerce[3] et les arts comme des occupations d’esclaves[4] : ils ne les exerçaient point. S’il y eut quelques exceptions, ce ne fut que de la part de quelques affranchis qui continuaient leur première industrie. Mais, en général, ils ne connaissaient que l’art de la guerre, qui était la seule voie pour aller aux magistratures et aux honneurs[5]. Ainsi les vertus guerrières restèrent après qu’on eut perdu toutes les autres.

  1. Ut merito dicatur genitos esse, qui nec ipsi habere possent res familiares, nec alios pati. Fragment de l’Histoire de Salluste, tiré du livre de la Cité de Dieu, liv. II, chap. XVIII) (M.).
  2. A. Le peuple romain ne cultivoit point le commerce et les arts ; il les regardoit comme des occupations d’esclave. S’il y a quelques exceptions, ce n’étoient guère que quelques affranchis, qui continuoient leur première industrie, etc.
  3. Romulus ne permit que deux sortes d’exercices aux gens libres, l’agriculture et la guerre. Les marchands, les ouvriers, ceux qui tenaient une maison à louage, les cabaretiers, n’étaient pas du nombre des citoyens. Denys d’Halicarnasse, liv. II Idem, liv. IX. (M.)
  4. Cicéron en donne les raisons dans ses Offices, liv. I, chap. XLIII a. (M.)
  5. Il fallait avoir servi dix années, entre l’âge de seize ans et celui de quarante-sept. Voyez Polybe, liv. VI, chap. XIX. (M.)

    a A. rédige ainsi cette note : Cicéron, liv. I, ch. XLII des Offices dit : Illiberales sordidi quæstus mercenariorum omnium, quorum opera, non quorum artes emuntur : est enim illis ipsa merces auctoramentum servitutis : Les marchands, ajoute-t-il, ne font aucun profit s’ils ne mentent… L’agriculture est le plus beau de tous les arts, et le plus digne d’un homme libre.