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DES ROMAINS, CHAP. XI.


dire, de tout gouvernement qui n’est pas modéré, il y a toujours une division réelle : le laboureur, l’homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance, et, si l’on y voit de l’union[1], ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps morts, ensevelis les uns auprès des autres.

Il est vrai que les lois de Rome devinrent impuissantes pour gouverner la République. Mais c’est une chose qu’on a vue toujours, que de bonnes lois, qui ont fait qu’une petite république devient grande, lui deviennent à charge lorsqu’elle s’est agrandie, parce qu’elles étaient telles que leur effet naturel était de faire un grand peuple, et non pas de le gouverner.

Il y a bien de la différence entre les lois bonnes et les lois convenables, celles qui font qu’un peuple se rend maître des autres, et celles qui maintiennent sa puissance lorsqu’il l’a acquise.

Il y a à présent dans le monde une république que presque personne ne connaît[2], et qui, dans le secret et dans le silence[3], augmente ses forces chaque jour. Il est certain que, si elle parvient jamais à l’état de grandeur où sa sagesse la destine, elle changera nécessairement ses lois, et ce ne sera point l’ouvrage d’un législateur, mais celui de la corruption même.

Rome était faite pour s’agrandir, et ses lois étaient admirables pour cela[4]. Aussi, dans quelque gouvernement

  1. Et quand il y a de l'union, etc.
  2. Le canton de Berne. (M.)
  3. A. B. Dans le secret et dans le silence.
  4. A met ici la note suivante : Il y a des gens qui ont regardé le gouvernement de Rome comme vicieux, parce qu’il était un mélange de la