dépendance de quelque grand protecteur[1]. La ville, déchirée, ne forma plus un tout ensemble, et, comme on n’en était citoyen que par une espèce de fiction, qu’on n’avait plus les mêmes magistrats, les mêmes murailles, les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sépultures, on ne vit plus Rome des mêmes yeux, on n’eut plus le même amour pour la patrie, et les sentiments romains ne furent plus[2].
Les ambitieux firent venir à Rome des villes et des nations entières pour troubler les suffrages ou se les faire donner ; les assemblées furent de véritables conjurations ; on appela comices une troupe de quelques séditieux ; l’autorité du peuple, ses lois, lui-même, devinrent des choses chimériques, et l’anarchie fut telle qu’on ne put plus savoir si le peuple avait fait une ordonnance, ou s’il ne l’avait point faite[3].
On n’entend parler dans les auteurs que des divisions qui perdirent Rome. Mais on ne voit pas que ces divisions y étaient nécessaires, qu’elles y avaient toujours été, et
- ↑ Qu’on s’imagine cette tête monstrueuse des peuples d’Italie, qui, par le suffrage de chaque homme, conduisait le reste du monde. (M.)
- ↑ Bossuet, Disc., IIIe partie, chap. VI. « Rome, épuisée par tant de guerres civiles et étrangères, se fit tant de nouveaux citoyens, ou par brigue, ou par raison, qu'à peine pouvoit-elle se reconnoître elle-même parmi tant d'étranger qu'elle avoit naturalisés. Le sénat se remplissoit de barbares, le sang romain se mêloit, l'amour de la patrie par lequel Rome s'étoit élevée au-dessus de tous les peuples du monde, n'étoit pas naturel à ces citoyens venus du dehors, et les autres se gâtoient du mélange. Les partialités se multiplioient avec cette prodigieuse multiplicité des citoyens nouveaux ; et les esprits turbulents y touvoient de nouveaux moyens de brouiller et d'entreprendre... Les grands ambitieux et les misérables, qui n'ont rien à perdre, aiment toujours le changement. Ces deux genres de citoyens prévaloient dans Rome ; et l'état mitoyen, qui seul tient tout en balance dans les États populaires, étant le plus foible, il falloit que la république tombât. »
- ↑ Voyez les Lettres de Cicéron à Atticus, livre IV, lettre XVIII. (M.)