aurait troublé toutes les fonctions des magistrats, on jugea qu’il valait mieux créer une magistrature qui pût empêcher les injustices faites à un plébéien[1]. Mais, par une maladie éternelle des hommes, les plébéiens, qui avaient obtenu des tribuns pour se défendre, s’en servirent pour attaquer : ils enlevèrent peu à peu toutes les prérogatives des patriciens. Cela produisit des contestations continuelles[2]. Le peuple était soutenu ou plutôt animé par ses tribuns, et les patriciens étaient défendus par le Sénat, qui était presque tout composé de patriciens, qui était plus porté pour les maximes anciennes, et qui craignait que la populace n’élevât à la tyrannie quelque tribun.
Le peuple employait pour lui ses propres forces et sa supériorité dans les suffrages, ses refus d’aller à la guerre, ses menaces de se retirer, la partialité de ses lois, enfin, ses jugements contre ceux qui lui avaient fait trop de résistance. Le sénat se défendait par sa sagesse, sa justice et l’amour qu’il inspirait pour la patrie ; par ses bienfaits et une sage dispensation des trésors de la République ; par le respect que le peuple avait pour la gloire des principales familles et la vertu des grands personnages[3] ; par
- ↑ Origine des tribuns du peuple. (M.)
- ↑ A. Cela produisit des disputes continuelles.
- ↑ Le peuple, qui aimait la gloire, composé de gens qui avaient passé leur vie à la guerre, ne pouvait refuser ses suffrages à un grand homme sous lequel il avait combattu. Il obtenait le droit d’élire des plébéiens, et il élisait des patriciens. Il fut obligé de se lier les mains, en établissant qu’il y aurait toujours un consul plébéien : aussi les familles plébéiennes qui entrèrent dans les charges y furent-elles ensuite continuellement portées ; et quand le peuple éleva aux honneurs quelque homme de néant, comme Varron et Marius, ce fut une espèce de victoire qu’il remporta sur lui-même a. (M.) Esprit des lois, VIII, 12.
a Dans A. cette note est ainsi rédigée : Le peuple avoit tant de respect pour les principales familles que, quoiqu'il eût obtenu le droit de faire des tribune militaires plébéiens, qui avoient la même puissance que les consuls, il élevoit toujours à cette