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GRANDEUR DES ROMAINS, CHAP. VII.

D’un autre côté, Rome, travaillée par ses dissensions civiles, occupée de maux plus pressants, négligea les affaires d’Asie et laissa Mithridate suivre ses victoires ou respirer après ses défaites.

Rien n’avait plus perdu la plupart des rois que le désir manifeste qu’ils témoignaient de la paix ; ils avaient détourné par là tous les autres peuples de partager avec eux un péril dont ils voulaient tant sortir eux-mêmes. Mais Mithridate fit d’abord sentir à toute la terre qu’il était ennemi des Romains, et qu’il le serait toujours.

Enfin, les villes de Grèce et d’Asie, voyant que le joug des Romains s’appesantissait tous les jours sur elles, mirent leur confiance dans ce roi barbare, qui les appelait à la liberté[1].

Cette disposition des choses produisit trois grandes guerres, qui forment un des beaux morceaux de l’histoire romaine, parce qu’on n’y voit pas des princes déjà vaincus par les délices et l’orgueil, comme Antiochus et Tigrane ; ou par la crainte, comme Philippe, Persée et Jugurtha ; mais un roi magnanime, qui, dans les adversités, tel qu’un lion qui regarde ses blessures, n’en était que plus indigné.

Elles sont singulières, parce que les révolutions y sont continuelles et toujours inopinées : car, si Mithridate pouvait aisément réparer ses armées, il arrivait aussi que, dans les revers, où l’on a plus besoin d’obéissance et de

    lieutenant de Mithridate, combattant contre Sylla, mit au premier rang ses chariots à faux ; au second sa phalange, au troisième, les auxiliaires armés à la romaine : Mixtis fugitivis Italiæ quorum pervicaciæ multum fidebat. Mithridate fit même une alliance avec Sertorius. Voyez aussi Plutarque, Vie de Lucullus. (M.)

  1. Esprit des lois, XI, 19.