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GRANDEUR ET DÉCADENCE


nèrent l’hérédité d’un homme vivant et la confiscation d’un prince allié.

Bientôt la cupidité des particuliers acheva d’enlever ce qui avait échappé à l’avarice publique. Les magistrats et les gouverneurs vendaient aux rois leurs injustices. Deux compétiteurs se ruinaient à l’envi pour acheter une protection toujours douteuse contre un rival qui n’était pas entièrement épuisé : car on n’avait pas même cette justice des brigands, qui portent une certaine probité dans l’exercice du crime. Enfin, les droits légitimes ou usurpés ne se soutenant que par de l’argent, les princes, pour en avoir, dépouillaient les temples, confisquaient les biens des plus riches citoyens. On faisait mille crimes pour donner aux Romains tout l’argent du monde.

Mais rien ne servit mieux Rome que le respect qu’elle imprima à la terre. Elle mit d’abord les rois dans le silence et les rendit comme stupides ; il ne s’agissait pas du degré de leur puissance, mais leur personne propre était attaquée : risquer une guerre, c’était s’exposer à la captivité, à la mort, à l’infamie du triomphe. Ainsi des rois qui vivaient dans le faste et dans les délices n’osaient jeter des regards fixes sur le peuple romain, et, perdant le courage, ils attendaient de leur patience et de leurs bassesses quelque délai aux misères dont ils étaient menacés[1].

Remarquez, je vous prie, la conduite des Romains. Après la défaite d’Antiochus, ils étaient maîtres de l’Afrique, de l’Asie et de la Grèce, sans y avoir presque

  1. Ils cachaient autant qu’ils pouvaient leur puissance et leurs richesses aux romains. Voyez là-dessus un fragment du premier livre de Dion. (M.)