Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
GRANDEUR ET DÉCADENCE


position d’esprit qui donne de la méfiance avant que d’entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l’abaissement d’Antiochus, il ne restait plus que de petites puissances, si l’on en excepte l’Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitants, ses forces de mer et de terre, aurait pu être formidable. Mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés, les rendirent si odieux à leurs sujets qu’ils ne se soutinrent la plupart du temps que par la protection des Romains.

C’était, en quelque façon, une loi fondamentale de la couronne d’Égypte que les sœurs succédaient avec les frères, et, afin de maintenir l’unité dans le gouvernement, on mariait le frère avec la sœur. Or il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu’un pareil ordre de succession : car, tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l’État ; celui des deux qui avait le moindre chagrin soulevait d’abord contre l’autre le peuple d’Alexandrie, populace immense, toujours prête à se joindre au premier de ses rois qui voulait l’agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d’autres princes de cette maison, avec des droits réciproques sur le tout, il arrivait qu’il y avait presque toujours des princes régnants et des prétendants à la couronne, que ces rois étaient sur un trône chancelant, et que, mal établis au-dedans, ils étaient sans pouvoir au-dehors[1].

  1. A. Toujours prête à se joindre au premier de ces rois qui voulait l'agiter. De façon qu'il y avoit toujours des princes régnants et des prétendants à la couronne, et comme les royaumes de Cyrène et de Chypre