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DES ROMAINS, CHAP. IV.


anciennes[1] ; il agissait avec Annibal comme il avait agi autrefois avec Pyrrhus, à qui il avait refusé de faire aucun accommodement tandis qu’il serait en Italie. Et je trouve dans Denys d’Halicarnasse[2], que, lors de la négociation de Coriolan, le Sénat déclara qu’il ne violerait point ses coutumes anciennes ; que le peuple romain ne pouvait faire de paix tandis que les ennemis étaient sur ses terres ; mais que, si les Volsques se retiraient, on accorderait tout ce qui serait juste.

Rome fut sauvée par la force de son institution. Après la bataille de Cannes, il ne fut pas permis aux femmes mêmes de verser des larmes ; le Sénat refusa de racheter les prisonniers et envoya les misérables restes de l’armée faire la guerre en Sicile, sans récompense ni aucun honneur militaire, jusqu’à ce qu’Annibal fût chassé d’Italie.

D’un autre côté, le consul Térentius Varron avait fui honteusement jusqu’à Venouse. Cet homme de la plus basse naissance n’avait été élevé au consulat que pour mortifier la noblesse. Mais le Sénat ne voulut pas jouir de ce malheureux triomphe ; il vit combien il était nécessaire qu’il s’attirât dans cette occasion la confiance du peuple : il alla au-devant de Varron et le remercia de ce qu’il n’avait pas désespéré de la République[3].

Ce n’est pas ordinairement la perte réelle que l’on fait dans une bataille (c’est-à-dire celle de quelques milliers

  1. Un plan toujours suivi pied à pied doit conduire tout État à la nécessité des plus vastes projets. (Frédéric II.)
  2. Antiquités romaines, liv. VIII. (M.)
  3. Bossuet, Discours, IIIe partie, ch. VI. « Le sénat l’en remercia publiquement ; et dès lors on résolut, selon les anciennes maximes, de n’écouter dans ce triste état aucune proposition de paix. L’ennemi fut étonné ; le peuple reprit cœur, et crut avoir des ressources que le sénat connaissait par sa prudence. »