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DES ROMAINS, CHAP. IV.

Les grands vaisseaux étaient désavantageux, en ce qu’étant difficilement mus par la chiourme[1], ils ne pouvaient pas faire les évolutions nécessaires. Antoine en fit à Actium une funeste expérience[2] : ses navires ne pouvaient se remuer, pendant que ceux d’Auguste, plus légers, les attaquaient de toutes parts.

Les vaisseaux anciens étant à rames, les plus légers brisaient aisément celles des plus grands, qui, pour lors, n’étaient plus que des machines immobiles, comme sont aujourd’hui nos vaisseaux démâtés.

Depuis l’invention de la boussole, on a changé de manière ; on a abandonné les rames[3], on a fui les côtes, on a construit de gros vaisseaux ; la machine est devenue plus composée, et les pratiques[4] se sont multipliées.

L’invention de la poudre a fait une chose qu’on n’aurait pas soupçonnée ; c’est que la force des armées navales a plus que jamais consisté dans l’art : car, pour résister à la violence du canon et ne pas essuyer un feu supérieur, il a fallu de gros navires ; mais, à la grandeur de la machine, on a dû proportionner la puissance de l’art.

Les petits vaisseaux d’autrefois s’accrochaient soudain, et les soldats combattaient des deux parts ; on mettait sur une flotte toute une armée de terre : dans la bataille navale que Régulus et son collègue gagnèrent, on vit combattre cent trente mille Romains contre cent cinquante mille

  1. L’equipage, les rameurs.
  2. La même chose arriva à la bataille de Salamine. Plutarque, Vie de Thémistocle. L’histoire est pleine de faits pareils. (M.)
  3. En quoi on peut juger de l’imperfection de la marine des anciens, puisque nous avons abandonné une pratique dans laquelle nous avions tant de supériorité sur eux. (M.)
  4. Les manœuvres.