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GRANDEUR ET DÉCADENCE


On ne remarque pas dans les auteurs que les armées romaines, qui faisaient la guerre en tant de climats, périssent beaucoup par les maladies ; au lieu qu’il arrive presque continuellement aujourd’hui que des armées, sans avoir combattu, se fondent, pour ainsi dire, dans une campagne.

Parmi nous, les désertions sont fréquentes, parce que les soldats sont la plus vile partie de chaque nation[1], et qu’il n’y en a aucune qui ait ou qui croie avoir[2] un certain avantage sur les autres. Chez les Romains, elles étaient plus rares : des soldats tirés du sein d’un peuple si fier, si orgueilleux, si sûr de commander aux autres, ne pouvaient guère penser à s’avilir jusqu’à cesser d’être Romains.

Comme leurs armées n’étaient pas nombreuses, il était aisé de pourvoir à leur subsistance ; le chef pouvait mieux les connaître et voyait plus aisément les fautes et les violations de la discipline.

La force de leurs exercices, les chemins admirables qu’ils avaient construits, les mettaient en état de faire des marches longues et rapides[3]. Leur présence inopinée glaçait les esprits : ils se montraient, surtout après un mauvais succès, dans le temps que leurs ennemis étaient dans cette négligence que donne la victoire[4].

Dans nos combats d’aujourd’hui, un particulier n’a guère de confiance qu’en la multitude ; mais chaque Romain, plus robuste et plus aguerri que son ennemi,

  1. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l'armée se formait par des recrues volontaires.
  2. A. Qui ait ou crois avoir, etc.
  3. Voyez surtout la défaite d’Asdrubal, et leur diligence contre Viriatus. (M.)
  4. A. n'a point ce paragraphe.