Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
GRANDEUR ET DÉCADENCE


sauter tout armés ; ils prenaient[1], dans leurs exercices, des épées, des javelots, des flèches d’une pesanteur double des armes ordinaires, et ces exercices étaient continuels.

Ce n’était pas seulement dans le camp qu’était l’école militaire : il y avait dans la ville un lieu où les citoyens allaient s’exercer (c’était le Champ de Mars). Après le travail[2], ils se jetaient dans le Tibre, pour s’entretenir dans l’habitude de nager et nettoyer la poussière et la sueur.

Nous n’avons plus une juste idée des exercices du corps : un homme qui s’y applique trop nous paraît méprisable, par la raison que la plupart de ces exercices n’ont plus d’autre objet que les agréments, au lieu que, chez les Anciens, tout, jusqu’à la danse, faisait partie de l’art militaire[3].

Il est même arrivé parmi nous qu’une adresse trop recherchée dans l’usage des armes dont nous nous servons à la guerre est devenue ridicule, parce que, depuis l’introduction de la coutume des combats singuliers, l’escrime a été regardée comme la science des querelleurs ou des poltrons.

Ceux qui critiquent Homère de ce qu’il relève ordinairement dans ses héros la force, l’adresse ou l’agilité du corps, devraient trouver Salluste bien ridicule, qui loue Pompée[4] de ce qu’il courait, sautait et portait un fardeau aussi bien qu’homme de son temps.

Toutes les fois que les Romains se crurent en danger,

  1. Végèce, Livre I, ch. XI, XII, XIV. (M.)
  2. Idem, ch. X. (M.)
  3. Dans A. ce paragraphe et les deux suivants se trouvent au chap. XV, à propos des combats de l’arène.
  4. Cum alacribus saltu, cum velocibus cursu, cum validis vecte certabat. Fragm. de Salluste rapporté par Végèce, liv. I, ch. IX. (M.)