Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
GRANDEUR ET DÉCADENCE

Ce corps y était déjà assez porté de lui-même car, étant fatigué sans cesse par les plaintes et les demandes du peuple, il cherchait à le distraire de ses inquiétudes et à l’occuper au-dehors[1].

Or la guerre était presque toujours agréable au peuple, parce que, par la sage distribution du butin, on avait trouvé le moyen de la lui rendre utile.

Rome étant une ville sans commerce et presque sans arts, le pillage était le seul moyen que les particuliers eussent pour s’enrichir[2].

On avait donc mis de la discipline dans la manière de piller, et on y observait à peu près le même ordre qui se pratique aujourd’hui chez les Petits Tartares.

Le butin était mis en commun[3], et on le distribuait aux soldats. Rien n’était perdu, parce qu’avant de partir chacun avait juré qu’il ne détournerait rien à son profit[4]. Or les Romains étaient le peuple du monde le plus religieux sur le serment, qui fut toujours le nerf de leur discipline militaire[5].

Enfin, les citoyens qui restaient dans la ville jouissaient aussi des fruits de la victoire. On confisquait une partie des terres du peuple vaincu, dont on faisait deux parts : l’une se vendait au profit du public ; l’autre était distribuée aux pauvres citoyens, sous la charge d’une rente en faveur de la république.

  1. D’ailleurs l’autorité du sénat était moins bornée dans les affaires du dehors que dans celle de la ville. (M.)
  2. Saint-Evremond, ch. II. « A proprement parler, les Romains étoient des voisins fâcheux et violents qui vouloient chasser les justes possesseurs de leurs maisons, et labourer, la force à la main, les champs des autres. »
  3. Voyez Polybe, liv. X. (M.)
  4. A. Rien n'étoit perdu, parce que chacun avoit juré, avant de partir, de ne rien détourner à son profit, et que les Romains étoient, etc.
  5. Esprit des lois, VII, XIII. Inf., ch. X.