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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.

Suivre le peuple romain au travers de toutes les révolutions qu’il a subies n’était pas une idée nouvelle ; des réflexions générales sur les institutions romaines n’étaient pas, non plus, chose inconnue. Montesquieu a eu plus d’un précurseur dans cette voie ; son mérite est de les avoir égalés ou dépassés.

Laissons de côté les admirables considérations de Polybe, quoique Montesquieu en ait profité plus d’une fois ; il est aisé de voir qu’en écrivant la première moitié de son livre l’auteur a eu sans cesse Florus sous les yeux. Il ne lui a pas emprunté seulement des vues ingénieuses ou profondes, il en a imité le style brillant et concis.

Dans l’Essai sur le goût, Montesquieu nous a en quelque façon livré son secret.


« Ce qui fait ordinairement une grande pensée, nous dit-il, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d*autres, et qui nous fait découvrir tout d’un coup ce que nous ne pouvions espérer qu’après une grande lecture.

« Florus nous représente en peu de paroles toutes les fautes d’Annibal. « Lorsqu’il pouvoit, dit-il, se servir de la victoire, il aima mieux en jouir : cum Victoria posset uti, frui maluit, »

« Il nous donne une idée de toutes les guerres de Macédoine, quand il dit : « Ce fut vaincre que d’y entrer : introisse, Victoria fuit. »

« Il nous donne tout le spectacle de la vie de Scipion, quand il dit de sa jeunesse : « C’est le Scipion qui croit pour la destruction de l’Afrique : hic erit Scipio qui in exitium Africœ crescit, » Vous croyez voir un enfant qui croît et s’élève comme un géant.

« Enfin il nous fait voir le grand caractère d’Annibal, la situation de l’univers et toute la grandeur du peuple romain, lorsqu’il dit : « Annibal fugitif cherchoit au peuple romain un ennemi par tout l’univers : qui, profugus ex Africa, hostem populo romano toto orbe quœrebat. »


Parmi les modernes qui ont servi de modèle à Montesquieu, il faut citer au premier rang Machiavel. Les Discours sur la première décade de Tite-Live, l’auteur des Considérations les a lus et relus, il leur a fait plus d’un emprunt. Au fond, malgré de nombreuses différences, les deux écrivains sont de même famille. Machiavel, qui a vu passer devant lui tant d’hommes et tant d’événements, croit davantage à l’adresse et au calcul ; Montesquieu a plus de confiance dans la sagesse du législateur et dans la force des institutions ; mais tous deux sont des esprits poli-