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LE TEMPLE DE GNIDE.


Plus elle m’enchantait, moins il était possible
D’espérer qu’à mes vœux elle devint sensible.
Je t’adorais, Camille, et tes charmants appas
Me disaient qu’un berger ne te méritait pas.
Je voulais... ah ! pardonne ! oui, loin de ma pensée
Je voulais rejeter ton tendre souvenir :
Que je suis fortuné ! je n’ai pu l’en bannir :
Pour jamais ton image y demeure tracée.

D’un monde turbulent j’aimai longtemps le bruit,
Lui dis-je, et maintenant d’un paisible réduit
Je cherche l’ombre et le silence.
L’ambition m’avait séduit :
Je ne désire plus que ta seule présence.
Sous un ciel éloigné du mien,
Je voulais habiter dans de vastes empires,
Et mon cœur n’est plus citoyen
Que de la terre où tu respires :
Tout ce qui n’est pas toi, pour mes yeux n’est plus rien.

Camille trouve encor quelque chose à me dire,
Quand elle m’a parlé de sa tendre amitié :
Elle croit avoir oublié
Mille aveux dont sur l’heure elle vient de m’instruire.
Ravi d’écouter ses discours,
Je feins tantôt de n’en rien croire,
Tantôt d’en perdre la mémoire,
Afin d’en prolonger le cours.
Alors règne entre nous cet aimable silence,
Ce langage muet, dont la douce éloquence
Est l’interprète des amours.

Lorsque aux pieds de Camille empressé de me rendre,
Après une absence d’un jour,
Je lui raconte à mon retour
Ce que je viens, loin d’elle, et de voir et d’entendre,
Elle me dit : Cruel ! que vas-tu rappeler ?
N’as-tu pas d’entretien plus tendre ?