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LETTRES PERSANES.




LETTRE VIII.


USBEK A SON AMI RUSTAN.


A ISPAHAN.


Ta lettre m’a été rendue à Erzeron, où je suis. Je m’étais bien douté que mon départ ferait du bruit ; je ne m’en suis point mis en peine. Que veux-tu que je suive ? la prudence de mes ennemis, ou la mienne ?

Je parus à la cour dès ma plus tendre jeunesse. Je le puis dire, mon cœur ne s’y corrompit point : je formai même un grand dessein ; j’osai y être vertueux. Dès que je connus le vice, je m’en éloignai ; mais je m’en approchai ensuite, pour le démasquer. Je portai la vérité jusques aux pieds du trône ; j’y parlai un langage jusqu’alors inconnu : je déconcertai la flatterie, et j’étonnai en même temps les adorateurs et l’idole.

Mais, quand je vis que ma sincérité m’avait fait des ennemis ; que je m’étais attiré la jalousie des ministres, sans avoir la faveur du prince ; que, dans une cour corrompue, je ne me soutenais plus que par une faible vertu, je résolus de la quitter. Je feignis un grand attachement pour les sciences ; et, à force de le feindre, il me vint réellement. Je ne me mêlai plus d’aucunes affaires ; et je me retirai dans une maison de campagne. Mais ce parti