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LETTRES PERSANES.


endroit malade. Un adversaire viendra, trente ans après, lui dire modestement : A Dieu ne plaise que je dise que ce dont on vous accuse soit vrai ; mais vous avez été obligé de vous défendre. C’est ainsi qu’on tourne contre lui sa justification même.

S’il écrit quelque histoire, et qu’il ait de la noblesse dans l’esprit, et quelque droiture dans le cœur, on lui suscite [1] mille persécutions. On ira contre lui soulever le magistrat, sur un fait qui s’est passé il y a mille ans ; et on voudra que sa plume soit captive, si elle n’est pas vénale.

Plus heureux cependant que ces hommes lâches, qui abandonnent leur foi pour une médiocre pension ; qui, à prendre toutes leurs impostures en détail, ne les vendent pas seulement une obole ; qui renversent la constitution de l’empire, [2] diminuent les droits d’une puissance, augmentent ceux d’une autre, donnent aux princes, ôtent aux peuples, font revivre des droits surannés, flattent les passions qui sont en crédit de leur temps, et les vices qui sont sur le trône ; imposant à la postérité d’autant plus indignement, qu’elle a moins de moyens de détruire leur témoignage.

Mais ce n’est point assez, pour un auteur, d’avoir essuyé toutes ces insultes ; ce n’est point assez pour lui d’avoir été dans une inquiétude continuelle sur le succès de son ouvrage. Il voit le jour, enfin, cet ouvrage qui lui a tant coûté. Il lui attire des querelles de toutes parts. Et comment les éviter ? Il avait un sentiment ; il l’a soutenu par ses écrits ; il ne savait pas qu’un homme, à

  1. 2e C. 1721. On lui suscitera.
  2. 2e C. 1721. La constitution des empires.