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LETTRE CXLIII.


Paris (car ici toutes les bagatelles s’impriment, se publient et s’achètent). J’ai cru que je ferais bien de te l’envoyer, parce qu’elle a du rapport à notre sujet. [1]


LETTRE D’UN MÉDECIN DE PROVINCE
A UN MÉDECIN DE PARIS.


« Il y avait, dans notre ville, un malade qui ne dormait point depuis trente-cinq jours. Son médecin lui ordonna l’opium : mais il ne pouvait se résoudre à le prendre ; et il avait la coupe à la main, qu’il était plus indéterminé que jamais. Enfin, il dit à son médecin : Monsieur, je vous demande quartier seulement jusqu’à demain : je connais un homme qui n’exerce pas la médecine, mais qui a chez lui un nombre innombrable de remèdes contre l’insomnie ; souffrez que je l’envoie quérir : et, si je ne dors pas cette nuit, je vous promets que je reviendrai à vous. Le médecin congédié, le malade fit fermer les rideaux, et dit à un petit laquais : Tiens, va-t’en chez M. Anis, et dis-lui qu’il vienne me parler. M. Anis arrive. Mon cher monsieur Anis, je me meurs ; je ne puis dormir : n’auriez-vous point, dans votre boutique, la C. du G.. ! [2] ou bien quelque livre de dévotion composé par un R. P. J. [3] que vous n’ayez pas pu vendre ? car souvent les remèdes les plus gardés sont les meilleurs. Monsieur, dit le libraire, j’ai chez moi la Cour sainte du père Caussin, [4] en six volumes, à votre

  1. L’auteur, dans le manuscrit qu’il avait confié, de son vivant, aux libraires, a jugé à propos de faire des retranchements. On n’a pas cru devoir en priver le lecteur, qui les trouvera ici en notes.*

    Il y a bien des choses que je n’entends pas : mais toi, qui es médecin, tu dois entendre le langage de tes confrères.

  2. La Connaissance du globe, suivant les anciens éditeurs.
  3. A. C. Révérend père jésuite.
  4. Le P. Caussin, jésuite, né à Troyes, confesseur de Louis XIII, exilé par Richelieu. Mémoires de Mathieu Marais, t. II, p. 432.

    • C’est dans l’édition de 1758 que pour la première fois on a mis en note la lettre d’un médecin de province.