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DE M. DE MONTESQUIEU.


duchesse d’Aiguillon, qui me permettra de la citer ici (la mémoire de M. de Montesquieu y perdrait trop, si je ne la nommais pas), ne le quitta point et recueillit ses derniers soupirs. Ce fut chez elle que je le vis pour la première fois, et ce fut alors que se forma cette amitié, dans laquelle j’ai trouvé tant de délices ; c’est d’elle que je tiens les circonstances de sa mort. [1] Ces derniers moments d’un bien que nous allons perdre semblent devenir les plus précieux, et sont en effet les plus beaux d’une belle vie, lorsque l’âme, prête à quitter la terre et déjà débarrassée du corps, se montre dans toute sa pureté.

M. de Montesquieu s’était marié en 1715 et avait épousé, le 30 avril, demoiselle Jeanne de Lartigue, fille du sieur Pierre de Lartigue, lieutenant-colonel au régiment de Maulevrier ; il en a eu un fils et deux filles. M. de Secondat, célèbre par son goût et par ses connaissances dans les mathématiques et la physique, a été choisi par cette académie pour y remplir la place de son père. C’est une consolation de retrouver parmi

  1. « La douceur de son caractère (c’est Mme la duchesse d’Aiguillon qui parle) s’est soutenue jusqu’au dernier moment. Il ne lui est pas échappé une plainte, ni la moindre impatience. « Comment est l’espérance à la crainte ? » disait-il aux médecins. Il a parlé convenablement à ceux qui l’ont assisté : « J’ai toujours respecté la religion ; la morale de l’Évangile est une excellente chose et le plus beau présent que Dieu put faire aux hommes. » Les jésuites qui étaient auprès de lui le pressant de leur remettre les corrections qu’il avait faites aux Lettres persanes, il me remit et à Mme Dupré son manuscrit, * en nous disant : « Je veux tout sacrifier à la raison et à la religion, mais rien à la société ; ** consultez avec mes amis, et décidez si ceci doit paraître. » II était bien aise de voir ses amis, et prenait part à la conversation dans les intervalles où sa tête était libre. « L’état où je suis est cruel, me disait-il, mais il y a aussi bien des consolations ; » tant il était sensible à l’intérêt que le public y prenait, et à l’affection de ses amis ! J’y passais les jours et presque les nuits ; Mme Dupré y était aussi très-assidue, M. le duc de Nivernois, M. de Bucley, la famille de Fitz-James, le chevalier de Jaucourt, etc. La maison ne désemplissait pas, et la rue était embarrassée. Les soins ont été aussi inutiles que les secours. Il est mort le treizième jour de sa maladie, d’une fièvre inflammatoire qui attaquait également toutes les parties. » (Maup.)

    * Qu’est devenu ce manuscrit ?

    ** C’est-à-dire aux jésuites.