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LETTRES PERSANES.



LETTRE CXLII.


RICA A USBEK.


A ***.



Voici une lettre que je reçus hier d’un savant : elle te paraîtra singulière.

« Monsieur,

« Il y a six mois que j’ai recueilli la succession d’un oncle très-riche, qui m’a laissé cinq ou six cent mille livres, et une maison superbement meublée. Il y a plaisir d’avoir du bien, lorsqu’on en sait faire un bon usage. Je n’ai point d’ambition, ni de goût pour les plaisirs : je suis presque toujours enfermé dans un cabinet, où je mène la vie d’un savant. C’est dans ce lieu que l’on trouve un curieux amateur de la vénérable antiquité.

« Lorsque mon oncle eut fermé les yeux, j’aurais fort souhaité de le faire enterrer avec les cérémonies observées par les anciens Grecs et Romains : mais je n’avais pour lors ni lacrymatoires, ni urnes, ni lampes antiques.

« Mais, depuis, je me suis bien pourvu de ces précieuses raretés. Il y a quelques jours que je vendis ma vaisselle d’argent, pour acheter une lampe de terre qui avait servi à un philosophe stoïcien. Je me suis défait de toutes les glaces dont mon oncle avait couvert presque tous les murs de ses appartements, pour avoir