Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/462

Cette page n’a pas encore été corrigée
440
LETTRES PERSANES.


de vaincue : mais je vous vendrai bien cher la victoire.

Tout ceci ne fut interrompu que par le jour. Ses fidèles et aimables domestiques entrèrent dans sa chambre, et firent lever ces deux jeunes hommes, que deux vieillards ramenèrent dans les lieux où ils étaient gardés pour ses plaisirs. Elle se leva ensuite, et parut d’abord à cette cour idolâtre dans les charmes d’un déshabillé simple, et ensuite couverte des plus somptueux ornements. Cette nuit l’avait embellie ; elle avait donné de la vie à son teint, et de l’expression à ses grâces. Ce ne fut, pendant tout le jour, que danses, que concerts, que festins, que jeux, que promenades ; et l’on remarquait qu’Anaïs se dérobait de temps en temps, et volait vers ses deux jeunes héros : après quelques précieux instants d’entrevue, elle revenait vers la troupe qu’elle avait quittée, toujours avec un visage plus serein. Enfin, sur le soir, on la perdit tout à fait : elle alla s’enfermer dans le sérail, où elle voulait, disait-elle, faire connaissance avec ces captifs immortels qui devaient à jamais vivre avec elle. Elle visita donc les appartements de ces lieux les plus reculés et les plus charmants, où elle compta cinquante esclaves d’une beauté miraculeuse ; elle erra toute la nuit de chambre en chambre, recevant partout des hommages toujours différents, et toujours les mêmes.

Voilà comment l’immortelle Anaïs passait sa vie, tantôt dans des plaisirs éclatants, tantôt dans des plaisirs solitaires ; admirée d’une troupe brillante, ou bien aimée d’un amant éperdu : souvent elle quittait un palais enchanté, pour aller dans une grotte champêtre : les fleurs semblaient naître sous ses pas, et les jeux se présentaient en foule au-devant d’elle.

Il y avait plus de huit jours qu’elle était dans cette