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ÉLOGE


vous acheviez votre ouvrage, et que vous me marquiez ce que je dois faire en cette occasion ; à qui, et comment il faut que j’aie l’honneur d’écrire, et comment il faut que je fasse mes remercîments. Conduisez-moi, et je serai bien conduit. Si vous pouvez dans quelque conversation parler au roi de ma reconnaissance, et que cela soit à propos, je vous prie de le faire. Je ne puis offrir à ce grand prince que de l’admiration, et en cela même je n’ai rien qui puisse presque me distinguer des autres hommes.

« Je suis bien fâché de voir par votre lettre que vous n’êtes pas encore consolé de la mort de monsieur votre père. J’en suis vivement touché moi-même ; c’est une raison de moins pour nous pour espérer de vous revoir. Pour moi, je ne sais si c’est une chose que je dois à mon être physique, ou à mon être moral ; mais mon âme se prend à tout. Je me trouvais heureux dans mes terres, où je ne voyais que des arbres, et je me trouve heureux à Paris au milieu de ce nombre d’hommes qui égalent les sables de la mer ; je ne demande autre chose à la terre que de continuer à tourner sur son centre ; je ne voudrais pourtant pas faire avec elle d’aussi petits cercles que ceux que vous faisiez quand vous étiez à Tornéo. [1] Adieu, mon cher et illustre ami. Je vous embrasse un million de fois. A Paris, ce 25 novembre 1746. »

M. de Montesquieu n’était pas seulement un de ces hommes dont les talents honorent une académie ; ses vertus et la considération qu’elles lui avaient attirée l’y rendaient encore plus utile. Lorsque l’Académie françaisc eut à remplir la place de M. l’archevêque de Sens, tous les suffrages s’allaient réunir pour un homme qui avait donné les plus fortes preuves du mérite académique ; mais dans cent ouvrages excellents il s’en était trouvé un seul, fruit malheureux de la jeunesse de l’auteur ; ce n’était cependant point un de ces écarts frénétiques où l’on ose attaquer la Divinité ou déchirer les hommes. C’était un petit poème qu’Horace et Pétrone auraient avoué, mais

  1. C’est à Tornéo ou Tornéa, en Finlande, que Maupertuis avait été envoyé, en 1736, par l’Académie des sciences de Paris, pour y déterminer la figure de la terre.