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LETTRES PERSANES.

Cependant une infinité de nations inconnues sortirent du Nord, se répandirent comme des torrents dans les provinces romaines ; et trouvant autant de facilité à faire des conquêtes qu’à exercer leurs pirateries, elles démembrèrent l’empire, et fondèrent des royaumes. [1] Ces peuples étaient libres, et ils bornaient si fort l’autorité de leurs rois, qu’ils n’étaient proprement que des chefs ou des généraux. Ainsi, ces royaumes, quoique fondés par la force, ne sentirent point le joug du vainqueur. Lorsque les peuples d’Asie, comme les Turcs et les Tartares, firent des conquêtes ; soumis à la volonté d’un seul, ils ne songèrent qu’à lui donner de nouveaux sujets, et à établir, par les armes, son autorité violente ; mais les peuples du Nord, libres dans leur pays, s’emparant des provinces romaines, ne donnèrent point à leurs chefs une grande autorité. Quelques-uns même de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths en Espagne, déposaient leurs rois dès qu’ils n’en étaient pas satisfaits ; et, chez les autres, l’autorité du prince était bornée de mille manières différentes ; un grand nombre de seigneurs la partageaient avec lui ; les guerres n’étaient entreprises que de leur consentement ; les dépouilles étaient partagées entre le chef et les soldats ; aucun impôt en faveur du prince ; les lois étaient faites dans les assemblées de la nation. Voilà le principe fondamental de tous ces États, qui se formèrent des débris de l’empire romain.


De Venise, le 20 de la lune de rhégeb, 1719.

  1. A. C Les démembrèrent et en firent des royaumes.