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LETTRE CXIII.


que la matière et les choses créées n’aient que six mille ans ; que Dieu ait différé, pendant toute l’éternité, ses ouvrages, et n’ait usé que d’hier de sa puissance créatrice. Serait-ce parce qu’il ne l’aurait pas pu, ou parce qu’il ne l’aurait pas voulu ? Mais s’il ne l’a pas pu dans un temps, il ne l’a pas pu dans l’autre. C’est donc parce qu’il ne l’a pas voulu ; mais comme il n’y a point de succession dans Dieu, si l’on admet qu’il ait voulu quelque chose une fois, il l’a voulu toujours, et dès le commencement.


[1] Cependant, tous les historiens nous parlent d’un premier père : ils nous font voir la nature humaine naissante. N’est-il pas naturel de penser qu’Adam fut sauvé d’un malheur commun, comme Noé le fut du déluge ; et que ces grands événements ont été fréquents sur la terre depuis la création du monde ?

Mais toutes les destructions ne sont pas violentes. Nous voyons plusieurs parties de la terre se lasser de fournir à la subsistance des hommes ; que savons-nous si la terre entière n’a pas des causes générales, lentes et imperceptibles, de lassitude ? [2]

J’ai été bien aise de te donner ces idées générales avant de répondre plus particulièrement à ta lettre sur la diminution des peuples, arrivée depuis dix-sept à dix-huit siècles. Je te ferai voir, dans une lettre suivante, qu’indépendamment des causes physiques, il y en a de morales qui ont produit cet effet.

De Paris, le 8 de la lune de chahban, 1718.

  1. Dans A. C, avant cet alinéa, on lit celui-ci : Il ne faut donc pas compter les années du monde : le nombre des grains de sable de la mer ne leur est pas plus comparable qu’un instant.
  2. Tout ce paragraphe parait pour la première fois dans l’édition de 1754.