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LETTRES PERSANES.



LETTRE CVIII.


USBEK A ***.


Il y a une espèce de livres que nous ne connaissons point en Perse, et qui me paraissent ici fort à la mode : ce sont les journaux. [1] La paresse se sent flattée en les lisant ; on est ravi de pouvoir parcourir trente volumes en un quart d’heure.

Dans la plupart des livres, l’auteur n’a pas fait les compliments ordinaires, que les lecteurs sont aux abois : il les fait entrer à demi morts dans une matière noyée au milieu d’une mer de paroles. Celui-ci veut s’immortaliser par un in-douze, celui-là par un in-quarto ; un autre, qui a de plus belles inclinations, vise à l’in-folio ; il faut donc qu’il étende son sujet à proportion ; ce qu’il fait sans pitié, comptant pour rien la peine du pauvre lecteur, qui se tue à réduire ce que l’auteur a pris tant de peine à amplifier.

Je ne sais, ***, quel mérite il y a à faire de pareils ouvrages, j’en ferais bien autant, si je voulais ruiner ma santé et un libraire.

Le grand tort qu’ont les journalistes, c’est qu’ils ne parlent que des livres nouveaux ; comme si la vérité était

  1. Les journaux français, au XVIIIe siècle, n’étaient que des revues périodiques, de petit format, et ne contenaient guère que l’analyse des livres nouveaux. La liberté de la presse n’a paru en France qu’en 1789.