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LETTRES PERSANES.




LETTRE XCVIII.


USBEK A IBBEN.


A SMYRNE.


Il n’y a point de pays au monde où la fortune soit si inconstante que dans celui-ci. Il arrive tous les dix ans des révolutions qui précipitent le riche dans la misère, et enlèvent le pauvre avec des ailes rapides au comble des richesses. Celui-ci est étonné de sa pauvreté ; celui-là l’est de son abondance. Le nouveau riche admire la sagesse de la Providence ; le pauvre, l’aveugle fatalité du destin.

Ceux qui lèvent les tributs, nagent au milieu des trésors ; parmi eux, il y a peu de Tantales. Ils commencent pourtant ce métier par la dernière misère. Ils sont méprisés comme de la boue pendant qu’ils sont pauvres ; quand ils sont riches, on les estime assez ; aussi ne négligent-ils rien pour acquérir de l’estime.

Ils sont à présent dans une situation bien terrible. On vient d’établir une chambre, qu’on appelle de justice parce qu’elle va leur ravir tout leur bien. Ils ne peuvent ni détourner, ni cacher leurs effets ; car on les oblige de les déclarer au juste, [1] sous peine de la vie ; ainsi on les

  1. A. Au juge.