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LETTRES PERSANES.

Car enfin, je suis persuadé qu’il n’y a aucun de nos docteurs qui n’eût été embarrassé, si on lui eût dit de peser, dans une balance, tout l’air qui est autour de la terre, ou de mesurer toute l’eau qui tombe chaque année sur sa surface ; et qui n’eût pensé plus de quatre fois, avant de dire combien de lieues le son fait dans une heure ; quel temps un rayon de lumière emploie à venir du soleil à nous ; combien de toises il y a d’ici à Saturne ; quelle est la courbe selon laquelle un vaisseau doit être taillé, pour être le meilleur voilier qu’il soit possible. [1]

Peut-être que si quelque homme divin avait orné les ouvrages de ces philosophes de paroles hautes et sublimes ; s’il y avait mêlé des figures hardies et des allégories mystérieuses, il aurait fait un bel ouvrage, qui n’aurait cédé qu’au saint Alcoran.

Cependant, s’il te faut dire ce que je pense, je ne m’accommode guère du style figuré. Il y a, dans notre Alcoran, un grand nombre de petites choses, [2] qui me paraissent toujours telles, quoiqu’elles soient relevées par la force et la vie de l’expression. Il semble d’abord que les livres inspirés ne sont que les idées divines rendues en langage humain : au contraire, dans notre Alcoran, on trouve souvent le langage de Dieu [3] et les idées des hommes ; comme si, par un admirable caprice, Dieu y avait dicté les paroles, et que l’homme eût fourni les pensées.

Tu diras peut-être que je parle trop librement de ce qu’il y a de plus saint parmi nous ; tu croiras que c’est le

  1. A. C. Qu’il est possible.
  2. A. De choses puériles.
  3. A. C. Au contraire, dans nos livres saints, on trouve le langage de Dieu.