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LETTRES PERSANES.




LETTRE LXXXIX.[1]


USBEK A IBBEN.


A SMYRNE.



Le désir de la gloire n’est point différent de cet instinct que toutes les créatures ont pour leur conservation. Il semble que nous augmentons notre être lorsque nous pouvons le porter dans la mémoire des autres ; c’est une nouvelle vie que nous acquérons, et qui nous devient aussi précieuse que celle que nous avons reçue du ciel.

Mais comme tous les hommes ne sont pas également attachés à la vie, ils ne sont pas aussi également sensibles à la gloire. Cette noble passion est bien toujours gravée dans leur cœur ; mais l’imagination et l’éducation la modifient de mille manières.

Cette différence, qui se trouve d’homme à homme, se fait encore plus sentir de peuple à peuple.

On peut poser pour maxime que, dans chaque État, le désir de la gloire croît avec la liberté des sujets, et diminue avec elle : la gloire n’est jamais compagne de la servitude.

  1. Cette lettre contient en germe la théorie des principes des trois gouvernements, que Montesquieu a exposée dans le troisième livre de l’Esprit des lois.