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LETTRES PERSANES.


compter les visites qu’ils font en gros dans les lieux où l’on s’assemble ; mais, comme la voie en est trop abrégée, elles sont comptées pour rien dans les règles de leur cérémonial.

Ils fatiguent plus les portes des maisons à coups de marteau que les vents et les tempêtes. Si l’on allait examiner la liste de tous les portiers, on y trouverait chaque jour leur nom estropié de mille manières en caractères suisses. [1] Ils passent leur vie à la suite d’un enterrement, dans des compliments de condoléance ou dans des félicitations [2] de mariage. Le roi ne fait point de gratification à quelqu’un de ses sujets, qu’il ne leur en coûte une voiture pour lui en aller témoigner leur joie. Enfin, ils reviennent chez eux, bien fatigués, se reposer, pour pouvoir reprendre le lendemain leurs pénibles fonctions.

Un d’eux mourut l’autre jour de lassitude ; et on mit cette épitaphe sur son tombeau : « C’est ici que repose celui qui ne s’est jamais reposé. Il s’est promené à cinq cent trente enterrements. Il s’est réjoui de la naissance de deux mille six cent quatre-vingts enfants. Les pensions dont il a félicité ses amis, toujours en des termes différents, montent à deux millions six cent mille livres ; le chemin qu’il a fait sur le pavé à neuf mille six cents stades ; celui qu’il a fait dans la campagne à trente-six. [3] Sa conversation était amusante ; il avait un fonds tout fait de trois cent soixante-cinq contes ; il possédait d’ailleurs, depuis son

  1. On recherchait les Suisses pour en faire des concierges :

    Il m’avait fait venir d’Amiens pour être suisse,

    dit Petit-Jean dans les Plaideurs.

  2. A. C. Des sollicitations de mariage.
  3. A. En a trente-six.